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Gilles Maillet est arrivé en 2015 au sein du réseau social Facebook. Il est Directeur du Pôle Automobile, Tech et Telco. L’objet de notre interview est de dévoiler et de s’inspirer de l’impact du digital dans la transformation des acteurs de l’automobile, lesquels placent dorénavant l’expérience acheteur et non plus le produit uniquement au centre de leurs préoccupations. Gilles sera speaker aux Sommets du Digital les 3, 4 et 5 février 2020.
Quelles sont les particularités du secteur de l’automobile en ce qui concerne le parcours d’achat, et quelles inspirations pouvons-nous tirer de ce secteur ?
Si on devait choisir une filière particulièrement challengée, l’automobile en fait clairement partie. Pourquoi ? Parce que la concurrence s’est accrue avec de nouveaux entrants. C’est une industrie qui a des défis environnementaux. Il y a la révolution du numérique. Il y a de nouvelles mobilités, un consommateur qui est en train de changer. Il y a une évolution des attentes sociétales. Il y a des véhicules qui arrivent qui sont de plus en plus connectés, qui seront bientôt autonomes, qui deviennent électriques. Ce sont des disruptions majeures. Les cartes de cette industrie sont en train de se rebattre totalement. Le digital prend une place très importante dans tout ça, ce qui n’était pas instinctif avant. Aujourd’hui, par exemple, le parcours d’achat d’un acheteur d’automobile démarre à 97% en ligne. Les plateformes sociales ont beaucoup transformé le rapport qu’on a au produit automobile, à l’achat, à la consommation, au partage. La moitié des intentionnistes ont partagé du contenu lié à l’automobile sur les réseaux sociaux. C’est nouveau, c’est un achat qui est très impliquant, très important. On aime le partager sur les réseaux. Chez les populations les plus jeunes – celles dont on dit qu’elles n’achèteront plus l’automobile mais la louerons, ou la consommeront de façon différente, c’est une certitude dans les villes –, les 18-34 ans sont 65% à partager du contenu.
Comment révolutionne-t-on le parcours d’achat ?
En s’adaptant à ces attentes, en comprenant comment évolue le client. Le digital a pris une place importante, on l’a vu à travers ces différents chiffres, à travers l’importance des réseaux sociaux, que ce soit Instagram, Facebook ou les plateformes de messagerie qui aujourd’hui sont utilisées tout au long du processus d’achat. Si on peut résumer cette question adressée à l’industrie automobile – et qui se pose aussi pour pas mal d’industries traditionnelles –, ce serait : comment créer de la valeur dans un contexte tendu et incertain ? Avant, on achetait une automobile, on la possédait, elle était à nous, c’était un objet très personnel. Demain, vous allez louer votre voiture, être au contact de personnes qui vont louer votre voiture, la louer selon vos besoins. La plupart des gens qui vivent en ville devraient par exemple avoir une voiture électrique la semaine et une voiture plus grosse pour le week-end, pour partir en famille. Ça n’existe pas encore mais ça commence à se développer. On voit naître des start-up et entreprises spécialisées dans la mobilité, les constructeurs historiques s’y mettent aussi. Ce sont des métiers totalement nouveaux.
Une phrase a été prononcée par Mary Barra, CEO de General Motors – seule femme CEO dans le monde automobile –, à Las Vegas il y a quatre ans : « l’industrie automobile va plus changer dans les cinq prochaines années que dans les cinquante dernières. » On le voit dans beaucoup de filières, mais comme je le disais en introduction, particulièrement dans l’automobile.
Avec l’émergence des nouveaux modes de mobilité que vous venez de citer, vers une économie plus collaborative, grâce à l’essor du smartphone, il semblerait que le secteur de l’automobile soit pionnier en termes de digitalisation. En quoi Facebook apporte son soutien à ce secteur innovant ?
L’idée est d’aider les constructeurs, distributeurs et entreprises de mobilité à offrir la meilleure expérience digitale possible, avec le moins de frictions possible, qui corresponde à ce qu’attend le consommateur aujourd’hui. Il veut une bonne expérience digitale tout au long de son parcours. La notion de « sans friction » est importante – tous ces points qui viennent perturber votre parcours d’achat – nous énerve déjà dans le monde physique, comme quand on fait trop longtemps la queue, par exemple. Mais c’est encore pire dans le digital. En France, on estime le manque à gagner – uniquement lié aux frictions – pour les e-commerçants à 20 milliards d’euros
Concrètement, quel soutien apporte Facebook à ce secteur, pour diminuer ce manque à gagner ?
Si on se donnait trois piliers sur lesquels les accompagner, la première chose serait de comprendre et utiliser les codes du mobile et les usages d’aujourd’hui. On l’a dit, les gens passent énormément de temps sur les mobiles et les réseaux sociaux. Il y a par exemple un énorme phénomène sur nos plateformes : la consommation de la vidéo a explosé, ainsi que la consommation et la création de stories. Instagram est une plateforme majeure dans l’inspiration, c’est une plateforme de passionnés, et l’automobile est par essence une passion. Ensuite, il y a l’impact du processus de vente. Avant, on ne se disait pas qu’un réseau social pouvait permettre de faire des ventes. Mais Facebook aujourd’hui, pour ce type d’industrie, c’est la capacité d’identifier des acheteurs potentiels, de les toucher avec le bon message à chaque étape de leur parcours, de les conduire à faire des configurations de véhicule, des ventes en leur permettant d’aller communiquer dans les concessions, zones de chalandise. Grâce au digital, on peut mesurer beaucoup de choses et on les aide beaucoup là-dessus. C’est un gros enjeu pour les marketeurs : comment être plus efficient et plus performant, optimiser ses investissements en mesurant ce qui a le plus d’impact. Le rôle que peut jouer le digital – et particulièrement le mobile – dans toutes ces stratégies repose sur ces trois piliers : comprendre les codes, impacter les ventes, rendre le marketing plus efficace.
A ce propos, Tesla, a renoncé à son projet de vente 100% en ligne, qui est revenu sur l’idée de fermer toutes ses concessions – c’était peut-être un peu trop drastique. Pensez-vous que l’on peut tout acheter en ligne ?
On voit beaucoup d’expériences sur l’achat en ligne. L’entreprise Tesla est très intéressante. On est presque à cheval entre une entreprise comme Apple et une entreprise auto traditionnelle. Ils se sont lancés tardivement dans l’automobile. Ils ont lancé leur automobile directement comme un produit technologique. Ils se sont centrés immédiatement sur l’électrique. Ils ont développé leur propre réseau de recharge. Un client Tesla – un peu comme un client Apple – peut faire des mises à jour, payer des softwares. Il a une expérience de connectivité dans sa voiture qui est absolument incroyable – ils étaient d’ailleurs les premiers à proposer des services autonomes. Ils font évoluer leurs services avec des mises à jour durant la nuit. On se souvient de la Tesla modèle 3 : les réservations se faisaient en ligne, ce fut un carton. Mais dans l’automobile, même si les réservations se font en ligne, l’achat reste physique, parce que l’objet automobile n’est pas anodin à transporter, on ne peut pas se le faire livrer. C’est un secteur où on a besoin d’une expérience avec le produit. Que Tesla revienne sur le fait d’avoir des concessions montre qu’ils ont compris que les showrooms étaient importants. La grande tendance des showrooms aujourd’hui ui, c’est d’avoir des espaces plus petits pour présenter une voiture, comme dans les centres commerciaux. Si vous allez au PSA retail de la rue Saint Didier, vous verrez qu’ils ont pu transformer leurs m² grâce à des expériences digitales, de manière totalement différente. Cette concession ne proposait avant qu’une marque, ils peuvent désormais présenter les quatre marques de la gamme dans le même espace (Opel, DS, Peugeot, Citroën) grâce à des configurateurs digitaux, des casques de réalité virtuelle, etc. Maintenant, grâce à ces nouvelles technologies, on peut faire découvrir des produits à travers des expériences totalement digitales.
Les réseaux sociaux ont un très fort impact sur la marque, sur sa visibilité et son image. Recruter des fans pour faire grossir sa communauté ne suffit plus. Avez-vous des exemples de campagnes et de dispositifs média qui selon vous illustrent parfaitement l’engagement d’une communauté et la notoriété d’une marque ?
Je vais vous faire partager des exemples qui sont très différents les uns des autres. Le premier exemple est très récent. Il a été partagé par notre COO, Sheryl Sandberg, il y a deux semaines. Il nous vient de Renault en Italie. Ils ont lancé une série limitée de leur Captur qui s’appelle Captur Tokyo. Ils ont fait une énorme campagne sur Instagram stories pour faire découvrir le produit. Ils ont créé un bot sur messenger – une automatisation de réponse sur un véhicule qui peut être créé. Pas d’humain derrière, l’expérience est automatique. À travers cette expérience messenger, ils ont pu vendre 20 voitures. On n’imaginait même pas des ventes sur messagerie il y a un an, et ça y est, les marques le font, et Renault, une marque historique, le fait. Ça permet de voir à quel point le digital impacte les ventes finales. Les messageries deviennent importantes pour créer de la relation client, que ce soit à travers les bots ou les humains.
Un autre exemple marquant concerne les campagnes que peuvent faire aujourd’hui les constructeurs automobiles autour de leurs réseaux de concessions. Hyundai, lors de la Coupe du Monde l’année dernière – dont ils sont sponsors et partenaires –, ont fait une énorme campagne télé pendant leurs portes ouvertes de juin. Pendant cette campagne, ils ont beaucoup communiqué sur Facebook autour de leurs zones de chalandise, à quelques kilomètres de leurs 176 concessions. Ça leur a permis d’avoir une campagne très utile, parce que centrée autour de leurs points de vente. Ils ont mesuré avec Médiamétrie la complémentarité entre la télévision et Facebook. Ils ont constaté que 41% des personnes qu’ils avaient touchées par Facebook n’avaient pas vu la pub à la télévision. Les deux se complètent très bien. Via un mobile, vous allez toucher des gens qui regardent moins la télévision, qui consomment moins les médias traditionnels. Ça leur permet de comprendre comment communiquer efficacement auprès de leurs audiences.
Le dernier exemple concerne un groupe de concessions locales. Ce groupe s’appelle Amplitude. Ils ont ciblé leurs clients en partant de leurs fichiers client sur Facebook, dans 9 villes, pour qu’ils puissent réserver des rendez-vous en atelier. Un concessionnaire gagne de l’argent, évidemment en vendant des voitures, mais fait encore plus de marge en faisant des opérations de service et de maintenance. Ils ont invité ces gens à prendre rendez-vous via messenger, à travers un conseiller de la concession. Ils ont touché 5 000 clients. Il y a eu 38 conversations et 12 rendez-vous pris en atelier. Pour eux, c’est beaucoup, c’est un résultat important. Ce qui est drôle, quand ils vous le racontent, c’est que la première personne qui leur a parlé sur messenger s’appelait Odile, et avait 65 ans.
Quand on parle de transformation digitale, quels seront selon vous les sujets de transformation dans les années à venir, que ce soit dans le secteur automobile ou tous secteurs confondus ?
On a vu tout à l’heure la citation de Mary Barra qui est importante, sur les cinq prochaines années, sur la transformation qui est rapide. En prenant l’exemple des télécoms que je connais bien aussi : l’enjeu est de devenir opérateur multiservice. C’est anticiper les nouveaux usages, comme pour l’automobile, avec notamment la 5G, la fibre, qui nécessitent de forts investissements et qui vont impacter énormément de choses. Il y a encore pas mal d’incertitudes, mais il y a une chose qui est certaine : c’est le client qui est au centre de tout ça, à travers ses usages. De nouveaux business vont pouvoir se créer. En revenant sur l’automobile : on a parlé du business de la mobilité qui n’existait pas avant. Toutes les entreprises traditionnelles (Renault, PSA, etc.) lancent des offres de mobilité, ce qu’ils ne faisaient pas avant. Par exemple PSA, avec « Free2Move », propose des voitures en libre-service dans Paris. Les grandes entreprises parlent aujourd’hui beaucoup de leurs clients ou de leurs utilisateurs. L’idée est qu’elles observent au mieux les usages qui sont en train de se développer, qu’elles puissent s’inscrire au mieux dans ces nouveaux usages, qu’elles comprennent et qu’elles décryptent les grandes tendances. Vous avez cité Tesla tout à l’heure, et je pense que c’est l’exemple automobile le plus fort de disruption, de marque qui nait et arrive tout de suite avec de nouveaux services.
Avez-vous des sources d’inspiration pour mener vos transformations ? Avez-vous des modèles que vous nous conseillez de suivre ?
La question de fond est de savoir comment rester productif dans ce qui procure de la marge, tout en anticipant ces nouvelles tendances. Comment se remettre en question en permanence et adopter des nouvelles manières de travailler ? On l’observe chez nos acteurs traditionnels. Par exemple, l’industrie du luxe va de plus en plus vers le e-commerce. C’est pour eux une transformation profonde. Les marques de grande consommation vont de plus en plus sur de la consommation utile et éthique. Ils proposent de nouveaux services, comme le drive, la vente en ligne. Ce sont toutes ces initiatives qu’on observe, et je pense justement que les modèles sont à prendre ailleurs que dans sa propre industrie. Il y a par exemple plusieurs industries qui pourraient s’inspirer du modèle Netflix, du principe d’abonnement, d’avoir un algorithme qui permette de mieux connaître les consommateurs. En appliquant Netflix à l’automobile, on pourrait demain avoir des abonnements pour utiliser une voiture selon nos besoins. Appliqué aux télécoms, ce serait avoir de nouveaux services de communication entre les utilisateurs, de nouveaux portails, etc. C’est prendre l’inspiration parmi les nouveaux entrants, parce qu’ils arrivent toujours avec de nouvelles idées. C’est savoir les intégrer rapidement. Cette transformation est aussi importante à l’intérieur des entreprises. L’entreprise qui réussit sa transformation aujourd’hui, c’est celle qui réussit sa transformation interne, à avoir une vision, à embarquer ses salariés, à leur proposer de nouvelles opportunités, à faire évoluer les métiers. Les deux transformations sont importantes et vont de pair.
Si vous aviez un petit mot pour les participants des Sommets du Digital, quel serait-il ?
On sera dans un cadre rêvé pour s’inspirer, pour partager, pour s’étonner et se nourrir. Je pense que ce sont des notions qui sont très importantes. Quand on sort de son cadre habituel, c’est toujours plus propice à l’échange et au partage, à l’étonnement et à vraiment prendre le temps de s’écouter, pour prendre conscience d’enjeux qui nous dépassent, qu’ils soient humains ou sociétaux. Il faut prendre ce moment comme un moment de recul vraiment très utile. En tout cas, de mon côté, je mettrai à profit ce temps pour écouter et échanger un maximum.
Merci à Florence Coirier Giraudon d’avoir mené cet échange.