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Nous échangeons aujourd’hui avec Olivier Abecassis, le Président de Unify, le pôle digital du Groupe TF1, créé en début d’année. En quelques mois, Olivier a transformé ce nouveau pôle en menant l’acquisition de nombreuses sociétés comme MyLittleParis, Aufeminin, Gamned, etc.
Avec Unify, vous regroupez aujourd’hui trois activités en tant que « publishers », « brand solutions and services » et « social e-commerce ». Un portefeuille de marques aussi diversifié qu’Unify est-il essentiel pour avoir un avantage concurrentiel, notamment face aux GAFA ?
Je dirais qu’il est nécessaire. Notre métier, c’est de partir du contenu pour les communautés les plus larges possible. La production de ce contenu, et surtout sa monétisation, sa viabilité dans le modèle économique, nécessite de faire évoluer le média classique pour aller beaucoup plus près des annonceurs, les accompagner dans leur propre transformation digitale, leur donner la connexion à ces communautés. Cela nécessite aussi qu’on puisse démontrer l’efficacité de l’activation de ces communautés au travers d’actifs, d’e-commerce en propre, pour montrer que nos communautés, ce sont de vrais utilisateurs, de vrais consommateurs, ceux que les marques cherchent en permanence, ceux qu’on sait déjà engagés au travers de nos offres de e-commerce, principalement des box par abonnement. Le métier d’un média était classiquement de produire un contenu et de le vendre publicitairement parlant. Ce n’est plus suffisant et il a fallu aller vers ces trois activités, qui naissent de l’idée d’avoir le contenu le plus engageant possible pour la communauté. On a choisi un axe de « vertical ??? 2.31», sur des thématiques féminines, la santé/bien-être, le « food », la beauté, la parentalité… une offre de contenu, une richesse et une activation de communauté qui sont assez uniques. Est-ce un avantage concurrentiel ? Assurément, parce que nous produisons du contenu sur des verticales avec un leadership. Ça nous donne une position sur le marché, notamment en France, qui est assez unique. Est-ce suffisant pour avoir un avantage concurrentiel sur les GAFA ? Il faut remettre les choses en perspective : on n’est pas à la même échelle. Par contre, on offre à nos partenaires, à nos annonceurs, des dispositifs qui sont très complémentaires de ce que peuvent faire les GAFA. Notre conviction est que nous avons notre place à côté, on ne fait pas ce que font les GAFA toute la journée. On part du contenu, on engage des communautés et après on monétise, au travers de leviers pour le coup similaires à ceux des GAFA. On est dans un écosystème où il faut avoir une spécificité. Sur la question de l’avantage concurrentiel, je me positionnerais plutôt sur nos verticales et la force de nos communautés et de ces contenus. C’est le point de départ, viennent après l’activation d’un ensemble d’activités et de solutions qui en sont la conséquence. :
Vous vous adressez principalement aux annonceurs, avec une offre très diversifiée. Quel est selon vous le support de communication, ou le support média, qui présente le plus fort potentiel ?
À travers la création d’Unify, de cet agrégat de thématiques qui ont tout de même un ADN commun, connecté (univers féminin), on a voulu avoir plusieurs marques pour avoir une empreinte suffisamment importante. En France, nous touchons tous les mois 32 millions de visiteurs uniques. Grâce à la data accumulée sur ces profils, nous sommes capables d’en activer 17 millions de plus chaque mois, en extension d’audience. Nous essayons d’être très forts sur une thématique mais de ne pas être dépendants d’une seule marque. C’est pour ça qu’on a Auféminin sur le segment féminin, Doctissimo leader sur la santé/beauté, Marmiton sur le « food » et ainsi de suite. Ce qui fait Unify, c’est sa capacité à suivre nos internautes sur l’ensemble de ces sites, à agréger suffisamment de connaissances client pour ensuite nous tourner vers les annonceurs et les activer. Unify a été créé en début d’année, mais quasiment qu’avec des marques qui ont 20 ans dans l’internet, qui sont là depuis le début. Notre enjeu est que ces marques continuent à se développer, mais pas seulement. Il faut continuer à produire du contenu, il faut continuer à les irriguer.
Vous vous adressez à des audiences assez spécifiques. Vous développez ainsi une connaissance client beaucoup plus fine. Les multiples activités du groupe ont forcément des certains puisque vos clients sont principalement dans le secteur du B to B. Quels vont être les bénéfices consommateur ?
Il est vrai que Unify, par construction, est tourné vers les clients et les annonceurs, dans cette capacité à agréger, très B to B. Dans le domaine B to C, du point de vue consommateur, on a des passerelles entre nos sites, mais vous ne verrez Unifiy sur aucun site. Doctissimo reste Doctissimo, Marmiton reste Marmiton. Ce qui est certain par contre, c’est qu’on fait travailler nos équipes éditoriales ensemble. L’ensemble des actifs d’Unify, c’est une centaine de personnes qui font du contenu. Ça permet de faire un meilleur contenu, d’aller plus au fond des choses, de mieux connaître nos sujets et d’investir encore davantage dans les contenus. Ce n’est pas un bénéfice visible pour le consommateur. Il ne va pas se dire tous les jours : « Où est Unify ? », « Où sont les marques historiques ? » Mais c’est un bénéfice qui nous permet de donner suffisamment de moyens et de consistance pour faire notre métier de base, qui est la production de contenu, le mieux possible et de façon la plus transversale possible, parce que ça nous permet de rebondir d’une communauté à l’autre. Cette façon de produire du contenu est plus efficace, mais pas forcément visible au premier regard du consommateur, qui ne comprendrait pas que, tout d’un coup, les logos se mélangent ou soient remplacés par une marque ombrelle. Il faut respecter le cheminement d’un internaute, qui vient souvent nous voir parce qu’il a confiance en l’une de nos marques. Trouver d’autres marques sans raison pour lui, serait plus confusant qu’autre chose. Il faut donner du sens. Par contre, derrière, il est fondamental que les équipes travaillent ensemble.
Il y a des synergies internes, mais voyez-vous des ponts auxquels vous n’aviez pas pensé, qui vous permettent d’avoir une communauté qui s’intéresse davantage ?
Il y a des passerelles qui ont été mises en œuvre très rapidement. On a par exemple toujours eu une section beauté assez forte, autant sur Auféminin que sur Doctissimo. Quand Beauté Test rejoint le groupe, on a là des verbatim autour de quantités de produits de beauté qu’on met naturellement sur ces sites. Très rapidement, on va complémenter l’offre, avec aussi du contenu qui vient de nos internautes, qui est pour les marques une source de feedback assez importante. On fait un maillage lié à la cohérence éditoriale. Dans les actifs qu’on a rassemblés, on a Parole de Mamans qui est très actif sur la cible « maman », qu’on touchait aussi dans Doctissimo ou dans Auféminin. L’idée est de se dire que, tout en gardant les portes d’entrée – certains internautes ont pris des habitudes, connaissent par exemple Doctissimo, mais pas forcément Parole de Mamans –, la richesse de contenu globale va être mise en lien en facilitant les rebonds. J’ai l’habitude de dire qu’il faut respecter le consommateur et ne pas lui faire faire ce qu’un organigramme de société reflète. Le cheminement du rapprochement d’Unify doit être perçu avec du sens par l’utilisateur, et non pas imposé sous prétexte que toutes ces entités ont le même actionnaire.
Il y a donc des économies d’échelle en interne, mais vis-à-vis du consommateur, ceci doit être totalement invisible ?
Ça nous arrive à tous. À chaque fois qu’on veut faire au consommateur ce qui nous semble le plus simple à nous, en général, ça ne marche pas. Que veut le consommateur ? Comment consomme-t-il nos contenus ? Il faut lui faciliter la vie, sinon il ira voir ailleurs. C’est aussi simple que ça.
D’après votre expérience, quelle est la phase la plus délicate d’une acquisition ? Quels seraient vos conseils pour mener habilement la conduite du changement et l’acculturation digitale des équipes en place et nouvellement intégrées ?
C’est une question compliquée. Si quelqu’un avait la réponse, toutes les acquisitions seraient réussies. Nous n’avons pas fait qu’une acquisition, mais plusieurs. On a récupéré Doctissimo chez Lagardère, Auféminin chez Axel Springer, Parole de Mamans, Beauté Test et Les Numériques chez Neweb, autre filiale de TF1. On a fait un puzzle avec des gens qui avaient tous des histoires différentes. Ce que je retiens de mon expérience, au bout de 18 mois, c’est qu’à un moment donné, il faut passer du temps à écrire l’histoire commune. Ça peut sembler une évidence, mais ces entreprises ont été développées par des fondateurs – certains étaient encore là au moment de l’acquisition, certains ne l’étaient plus, Auféminin est un deuxième rachat. Il faut faire en sorte que cette histoire commune se trouve dans les objectifs de chacun. Quand vous faites des acquisitions, il y a des objectifs collectifs, individuels, minoritaires ou de fondateurs. Si tout le monde n’est pas aligné avec le même objectif, on ne vit pas comme un groupe mais comme une collection d’acquisitions. Vous parliez de synergie : ce ne sont pas tant des synergies de coût, mais des synergies de : comment, en investissant le même argent, on peut faire beaucoup plus.
Auriez-vous des conseils à partager, suite à votre expérience, pour mener cette conduite du changement ?
Il y a plusieurs enjeux. Il y a l’histoire commune, aligner tout le monde avec des objectifs. Il faut aussi un peu casser la routine. Ce n’est pas simple. C’est l’actionnaire qui m’a nommé. Quand vous arrivez, les gens vous challengent, c’est la vie des entreprises. Vous hésitez à casser la routine, parce que vous voyez qu’il y a des choses qu’on va faire différemment, parce que l’histoire qu’on écrit est différente. Ce n’est pas parce que vous voulez remettre en cause le passé, mais une entreprise est un organisme vivant. Il faut la faire vivre de façon cohérente avec ce qu’on veut faire. Mais vous ne voulez pas non plus casser ce qui fonctionne. Il faut faire preuve d’un grand pragmatisme pour faire l’évaluation de la décision, quand on la prend et comment. Ce que je retiens, c’est que chaque fois que j’ai hésité et différé la décision, je l’ai ensuite regretté. Quand vous connaissez vos business et quand vous faites un constat, il y a peu de chance qu’il soit substantiellement différent 3 ou 6 mois après.
Vous parlez d’un témoignage vécu. Avez-vous déjà failli passer à côté d’éléments cruciaux qu’il ne faut finalement pas sous-estimer ? Avez-vous des exemples à partager ?
Le paramètre clé, ce sont les équipes. Il ne faut pas sous-estimer les doutes des équipes, leurs questionnements, parfois liés à la peur du changement. Même dans les structures agiles et les start-up, il ne faut pas penser que cette peur du changement est un truc de salariés de grands groupes. Je pense que partout, quand on a produit un modèle, tout autre modèle est un challenge. Il faut très vite voir avec les équipes le degré d’adhésion à cette histoire commune, et traiter quand il n’y a pas adhésion. Il peut y avoir différentes façons de le traiter mais, quand il n’y a pas adhésion, c’est un problème. Soit la personne ne se projette pas, soit l’histoire est un peu bancale et il faut la réécrire sur certains éléments. Il faut être capable d’intégrer ces signaux avec une honnêteté intellectuelle pour pouvoir faire le tri entre ce qui peut être de fond ou de forme. C’est avant tout une aventure humaine.
Avec Unify, agissez-vous en mode « start-up » ?
Je ne sais pas ce que veut dire « agir en mode start-up », à moins qu’il s’agisse de faire appel à des choses un peu cliché : l’agilité de la start-up, la lourdeur dans le grand groupe. Je pense que cette dichotomie n’est pas aussi forte en pratique. Après, moi qui ai connu un grand groupe pendant très longtemps et qui aujourd’hui pilote Unify depuis 18 mois… Ma vie est radicalement différente. Tout est différent. C’est un enjeu de vitesse, d’équipes et de capacité à s’adapter. Oui, il faut vivre différemment, mais la réalité, c’est que le type de décisions qu’on prend n’est pas substantiellement différent. On a simplement une capacité à exécuter une décision beaucoup plus vite. L’exécution est beaucoup plus simple dans l’univers « start-up » que dans l’univers « groupe ».
Pourriez-vous nous citer un sujet de transformation d’entreprise ou de société qui aura lieu dans les années à venir et qui vous interpelle particulièrement ?
Je parlais de cette opposition que beaucoup font entre start-up et grand groupe : je pense qu’elle reflète de façon générale l’approche sur beaucoup de thématiques quant au challenge principal dans les années à venir, qui est celui de l’inclusion. C’est encore mal évalué. L’inclusion pour moi, ce sont des fondamentaux tels que l’égalité femme-homme, l’égalité des chances quelle que soit son origine ethnique. À l’image de ces start-up et des ces grands groupes, il faut arrêter d’opposer les entités pour être capable d’écrire une vraie histoire commune et finalement d’embarquer tout le monde. J’arrive chez Auféminin avec des équipes très engagées sur le rééquilibrage de tout ce que les femmes ont subi dans l’entreprise, dans leur vie personnelle, du fait de comportements nocifs, dangereux, illégaux d’hommes. Ce n’est souvent défendu que par des femmes. Je suis à l’étape d’après, je considère que ce doit être le combat des hommes aussi. Que les problématiques soient sociétales ou liées à la vie d’entreprise, il faut enfin être dans une démarche inclusive en étant capable de choisir le meilleur des mondes. C’est probablement un peu utopiste, mais je pense que c’est la seule chance d’arriver à une forme d’équilibre et de faire évoluer notre société et nos entreprises vers quelque chose de meilleur.
En rebondissant sur le mot « inclusion », ça nous ramène un peu au nom d’Unify, quelles sont les sources d’inspiration pour mener vos transformations ?
Je suis convaincu qu’il faut toujours se nourrir de ce qui est autour de soi. Quelle que soit l’industrie, quel que soit le sujet, on retrouve des similitudes et on doit se nourrir de ça. À l’inverse, je n’ai jamais été suiveur d’un seul modèle, d’une seule personne ou d’une seule source, parce que je pense que c’est réducteur. L’inspiration compte, mais l’exécution compte bien davantage. Il faut se nourrir de chaque modèle et s’en servir pour agir. Il y a aujourd’hui quantité de choses intéressantes dans la diversité de l’industrie mondiale. La croissance des entreprises chinoises est absolument fascinante, dans cette capacité à aligner et à exécuter. Cette croissance et cette vitesse sont inspirantes. La capacité des GAFA à aller chercher de la croissance, et être focalisé uniquement sur la croissance, est inspirante. Il y a des écosystèmes d’innovation – en particulier l’écosystème israélien. Cette capacité à faire de nouvelles technos et en faire des business rapides est pour moi source d’enseignement et de pistes incroyables. Il y a des nouvelles générations de managers ne séparent plus le digital de la conduite de l’entreprise. Ils sont extrêmement inspirants. Le travail que fait Bompard chez Carrefour, le travail que fait Franck Gervais chez Accord… Un certain nombre de managers, de quarantenaires qui ont vécu le digital de l’intérieur, sont capables aujourd’hui de bouger des mastodontes dont la survie est importante. On a la chance de vivre dans un écosystème global et mondial très dynamique. Je pense que personne n’a trouvé la réponse parfaite, chaque modèle que j’ai cité a des inconvénients et des faiblesses, mais être capable de les observer est à mon sens le plus grand avantage qu’un dirigeant puisse avoir.
Enfin, auriez-vous un petit mot pour les participants des Sommets du Digital ?
Ce sera ma première fois à cet évènement dont j’avais beaucoup entendu parler. C’est une richesse de pouvoir se retrouver et partager. On dit « Sommets du Digital », mais c’est « Sommets d’entreprises », parce que la dichotomie entre ce qui est digital et ce qui ne l’est pas, pour moi, n’existe plus. Tous les acteurs qui viennent aux Sommets du Digital sont tous des dirigeants qui sont aux manettes de la transformation des entreprises. Cette transformation est nécessaire à cause de la concurrence accrue et du challenge des modèles cycliques qui sont beaucoup plus courts qu’avant. Le digital nous a tous réunis. On a tous, à un moment donné, changé notre façon d’être, de piloter nos entreprises, grandi dans nos entreprises avec le digital. On en est maintenant à l’étape du « comment adapter nos modèles économiques ». Avoir la chance de se réunir pour cela et de partager sans rien avoir à se vendre, sans filtre – je pars du principe que la richesse de ces rencontres vient à partir du moment où on est capable d’afficher ce qui a marché, mais aussi ce qui n’a pas marché –, permet de tirer profit de cette intelligence collective dont je parlais tout à l’heure, de ses multiples origines, à condition d’une ouverture et d’une honnêteté totales. On ne réussit pas tout, mais on doit se nourrir aussi de nos échecs respectifs pour continuer à développer nos entreprises.
Merci à Florence Coirier Giraudon d’avoir mené cet échange.