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Interview de Romain Roy, co-fondateur et Directeur Général de Greenweez, leader européen du bio en ligne. Greenweez a connu une impressionnante progression depuis sa création en 2008, et a rapidement attiré l’attention des géants du retail, dont Carrefour qui les a rachetés en 2016. Romain nous propose un échange sincère, au sujet du bio, du retail et de l’engagement des acteurs du secteur.
Avec Greenweez, on a l’impression que vous êtes en train d’industrialiser le bio. Vous connaissez un développement rapide en Europe, vous rachetez vos concurrents étrangers en Italie, en Espagne notamment. À première vue, cette industrialisation ne rentre pas tout à fait dans l’acte d’achat responsable. Alors, est-ce que commander chez Greenweez, c’est un acte d’achat responsable ?
Au préalable : je ne trouve pas qu’industrialisation soit un « gros mot ». Pour répondre au concept que vous évoquez derrière, que je comprends : il faut revenir à notre mission. On a créé Greenweez avec une mission claire, un objectif, une vision presque – en étant un peu prétentieux –, qui était de dire qu’on voulait démocratiser l’accès aux produits bios. Derrière le mot « industrialisation », il y a aussi la notion de simplification. Je revendique aussi ça. On veut que, pour tout un chacun, ce soit très simple de consommer bio. Le fait de tout regrouper sur une même plateforme, ça simplifie, on n’a pas besoin d’aller dans 4,5,6 magasins différents pour tout trouver. Ensuite, on a toujours tout fait pour que l’expérience sur le site soit la plus simple possible – je le dis d’autant plus facilement que ce n’est pas du tout moi qui gère ce genre de trucs, mais on est assez bons là-dessus. On a été élus l’année dernière meilleur site de vente de courses en ligne, devant tous les sites de la grande distribution. L’idée est de faire en sorte de simplifier l’expérience d’achat pour le consommateur, qui a tout au même endroit, et on propose différents modes de livraison qui lui permette de choisir le plus adapté, en point-relais ou chez soi. Pour en revenir à la question de savoir si c’est responsable d’acheter chez Greenweez : il faut comprendre notre vision, notre histoire, notre mission et comment on veut la dérouler. Je pense que ce qui est responsable, aujourd’hui, c’est de comprendre que, vu l’état déplorable de la planète et vu les grandes tendances actuelles, le fait de passer à la culture bio de façon globale et généralisée est un élément essentiel dans le combat pour la préservation de l’environnement. Consommer bio, c’est responsable. Pousser à la consommation bio, c’est responsable. Faire en sorte qu’il y ait un maximum de gens qui se mettent à consommer bio, c’est responsable. C’est un cercle vertueux : plus il y aura de gens qui voudront consommer bio, plus les producteurs devront produire bio, plus on va apporter une petite pierre à l’édifice, à une transformation globale qui permettra, on l’espère, d’avoir un monde meilleur. Dit comme ça, ça fait un peu prétentieux. On n’est pas prétentieux, on essaie juste d’apporter notre petite pierre à cet édifice.
Que pensez-vous des réglementations qu’il y a aujourd’hui sur le bio ? Sont-elles assez strictes selon-vous ? Avez-vous avec Greenweez des normes supplémentaires ?
Le bio est effectivement un domaine extrêmement labellisé. Beaucoup de grands labels qui font référence existent. Je ne vais rien vous apprendre : on est dans un monde dans lequel les lobbys ont du pouvoir. Le développement de toute cette agriculture biologique, de toutes ces marques bios, de ces nouveaux produits, ça ne plaît pas toujours aux marques qui font des produits traditionnels. Pas mal d’initiatives sont faites pour essayer de discréditer, soit les labels bios, soit pour expliquer que le bio n’est pas forcément bio, que ce n’est pas forcément bon, etc. La perfection n’existe pas dans ce monde. Le bio, comme tous les autres secteurs, a ses filous. Maintenant, il y a des labels qui sont établis, en lesquels on peut avoir une grande confiance. Nous, on s’appuie beaucoup sur les labels. Ça ne signifie pas qu’un jour, dans un autre pays, un producteur ne réussira pas à contourner le système… peut-être. Mais en essayant d’adopter une vision globale et de prendre du recul : avec d’un côté le bio, la labellisation, toutes les certifications, toutes les contraintes sur les cultures qui existent, avec en marge quelques filous ; et de l’autre côté ce qu’on fait dans le conventionnel où on y va à grands coups de pesticides et de produits toxiques dans tous les sens… Je me dis que le bio avec tous ses labels est tout de même beaucoup plus vertueux que ce qu’on nous proposait au cours des 50 dernières années.
On sait aujourd’hui que la grande distribution marge beaucoup et davantage les produits bios que les produits spécialisés. Est-ce juste de douter de l’engagement de la grande distribution par rapport à ce manque de visibilité et aux marges réalisées ?
Vous faites allusion au fait qu’on a été rachetés par le groupe Carrefour en 2016. Il y a eu un certain nombre de levées de bouclier pour crier au scandale, pour dénoncer le fait qu’on avait signé avec le grand Satan. Il faut bien comprendre qu’auparavant, on avait d’autres actionnaires chez Greenweez, qui étaient des fonds d’investissement, des purs financiers. Pour le coup, ils étaient peu intéressés par la problématique du bio et le bien-être de la planète. On a remplacé ces actionnaires financiers par un acteur industriel. Certes la grande distribution n’a pas bonne presse sur ces sujets-là, mais Carrefour est en l’occurrence le premier à avoir sorti des produits bios en France. C’est le premier vendeur de bio en France. C’est tout de même un acteur très lié au bio. Pour en revenir à la question – qui est d’actualité et ça me fait très plaisir d’y répondre – : un certain nombre d’enseignes spécialisées bio ont sorti un film très agressif, dans lequel elles expliquent, en gros, qu’il y a des gens très vertueux comme eux, et des gens peu vertueux qui sont ceux de la grande distribution, qu’il y a des gens qui travaillent pour le plaisir comme eux, et des gens qui travaillent pour l’argent comme ceux de la grande distribution. Je trouve ça absolument honteux pour différentes raisons. La grande distribution en France – on a tendance à l’oublier –, c’est quand même quelque chose qui a permis de nourrir une très grande majorité de Français à une époque où les gens n’avaient pas les moyens d’acheter à manger. Aujourd’hui encore, elle joue ce rôle de principal distributeur pour les gens qui n’ont pas les moyens de consommer ce qu’ils voudraient. On a dans le monde du bio deux pans : d’un côté la distribution spécialisée, avec les enseignes que vous connaissez tous – dont Greenweez, on est clairement positionnés dans cet univers-là –, et de l’autre la grande distribution, qui vend beaucoup de bio. Il faut savoir que pendant très longtemps, la répartition du marché du bio entre ces deux groupes évoluait dans le sens de la distribution spécialisée. Tous les ans, la distribution spécialisée prenait des parts de marché à la grande distribution. Depuis deux ans, ça s’est inversé. Ça crée un peu d’angoisse et de panique dans la distribution spécialisée. Cette panique explique un peu pourquoi ils deviennent agressifs et ont tendance à s’énerver. Personnellement, j’ai toujours détesté les gens qui se proclament plus vertueux que les autres. C’est toujours chez ces gens-là qu’on finit par trouver un scandale un jour. Je suis dans la distribution spécialisée mais je me refuse à me proclamer plus vertueux que les gens de la grande distribution. Certes, elle a un certain nombre de mauvais côtés, de défauts. Ils ont été à une époque les promoteurs de la production de grande masse, hyper industrialisée, de la promotion de grandes marques internationales dont on sait qu’ils ne sont pas très bons pour la santé. C’est vrai, on ne va pas le nier, c’est un historique. Mais si on veut être complètement honnête, à l’époque où ces choses-là se sont enclenchées, personne n’avait d’idée sur le bio. C’est une thématique relativement récente. La distribution spécialisée fait certes un très bon travail, j’adore ces enseignes. Elles ont un rôle de pionnières, de leaders – et je trouve ça génial –, mais, de toute évidence, elles ne peuvent pas nourrir toute la population. Il ne faut pas se raconter d’histoires, il va de toute façon falloir que la grande distribution vende du bio au maximum de personnes possible. Quand on a un certain nombre d’enseignes – Carrefour étant, je pense, la plus engagée sur cette thématique (Act for Food) – qui se mettent à dire qu’elles veulent tout faire pour que les gens mangent mieux, pour que les produits soient plus sains… je trouve extrêmement malvenu d’aller leur taper dessus en leur disant qu’elles font ça pour l’argent et pas par éthique. Personne ne croit qu’ils sont philanthropes. Certains parmi ceux qui ont signé cet appel sont des filiales de groupes comme Casino, je ne sais pas ce qu’ils essaient de nous faire croire, mais s’ils ne sont pas là pour faire de l’argent, je ne sais pas ce qu’ils font. Au lieu d’avoir un discours très accusateur et culpabilisateur sur la grande distribution, on aurait préféré qu’ils expliquent ce qu’ils font de super et ce que la grande distribution pourrait faire demain de super en les imitant : des choses qui aillent dans le bon sens, qui feraient progresser le schmilblik ! Il est essentiel que la grande distribution poursuive dans la voie qui a été entamée, notamment par Carrefour, sur le fait d’amener des produits de meilleure qualité à ses clients, de promouvoir le bio, qu’un maximum soit vendu. Certains sont très actifs dans la transition vers de la culture bio par rapport aux agriculteurs. Il ne s’agit pas de dire que l’un est meilleur que l’autre. Oui, effectivement, la distribution spécialisée est engagée depuis plus longtemps sur cette thématique. Oui, effectivement, ils vont en général plus loin dans leur sélectivité, ils font des choix plus forts, ce qu’ils font est mieux. Mais ce n’est pas parce que ce qu’ils font est mieux que tout ce que font les autres est nul, non avenant et ne sert à rien. Si on ne fait pas bouger les mastodontes de la distribution, qu’on ne les accompagne pas, qu’on ne les encourage pas à aller plus loin dans cette voie, on n’arrivera à rien.
Carrefour est de plus en plus engagé à ce niveau-là, mais on a l’impression que le développement du bio se fait un peu lentement dans la grande distribution. À quoi est-ce dû ? Est-ce dû aux consommateurs qui ont l’habitude de faire leurs achats en grande distribution qui ne seraient pas tout à fait prêts, ou un autre acteur ?
Je pense que ce n’est pas vrai, dans le sens où, aujourd’hui, la plus forte progression dans la grande distribution, c’est le bio. Est-ce assez rapide ? Peut-être pas, ça devrait être encore plus rapide. Il y a des problématiques derrière, ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air. Il y a typiquement un problème de demande et de production. On ne peut pas actuellement servir tout le monde en bio, parce que les volumes de production ne sont pas là. On ne peut pas décréter du jour au lendemain de ne faire que du bio. Il faut comprendre que les acteurs de la grande distribution – et après, j’arrêterai sur eux, parce que je ne veux pas passer pour leur avocat – ont des problématiques de volumes. C’est parfois difficile à comprendre, je vais donner un exemple : vous êtes un grand acteur dans la grande distribution et décidez que vous allez arrêter de vendre des œufs de poules qui ne sont pas élevées en plein air – ce qu’il faut faire absolument, c’est essentiel. Du jour au lendemain, c’est impossible, vous mettrez 20 000 exploitations directement sur la paille. Il y a des conséquences sociétales, ce sont des filières entières qu’il faut transformer. Autre exemple, qui fera peut-être hurler nos confrères : quand vous êtes une marque de très grande distribution, aujourd’hui, vous avez forcément des contraintes économiques, derrière lesquelles il y a des emplois, des gens. Si, du jour au lendemain vous amputez votre chiffre d’affaires, parce que refusez de vendre tout ce qui n’est pas bio, vous allez mettre 300 000 personnes dans la rue. Il y a une équation économique à résoudre en permanence. Ces sujets sont moins simples qu’il n’y paraît. Ils méritent en tout cas qu’on ne leur applique pas un discours simpliste. On est tous d’accord sur les objectifs, eux y compris.
Pour en revenir sur la séparation entre la distribution spécialisée et la grande distribution, pour moi, un des rôles de la distribution spécialisée doit être de permettre l’accès au marché aux nouvelles marques. Encore une fois : elles sont plus engagées, elles vont plus loin. Ce rôle doit rester celui de la distribution spécialisée. On comprend bien que des petites marques qui n’ont pas de gros volumes de production ne peuvent pas aller tout de suite en grande distribution. C’est un premier rôle de « metteur » sur le marché de marques innovantes. Deuxième rôle : c’est un monde vivant, encore une fois, les standards évoluent, vers le haut, c’est de plus en plus exigeant. On avait le label bio, on a maintenant Demeter qui est encore plus exigeant. Il y a une progression dans les exigences. Je pense que la distribution spécialisée doit rester à la pointe. C’est là qu’on doit trouver les trucs les plus engagés, les labels les plus contraignants et toujours essayer d’avoir cet effet d’entraînement qui, petit à petit, à travers les consommateurs, va faire évaluer l’intégralité du marché pour qu’à terme, la grande distribution évolue aussi dans cette direction. C’est comme ça qu’on aura un quelque chose de vertueux et que tout le monde s’améliorera. La distribution spécialisée a toute sa place dans l’histoire, elle a fait beaucoup pour que le bio soit aussi fort en France aujourd’hui. Il faut la remercier et la féliciter pour ça. Je pense que, demain, dans un monde où tout sera devenu bio, elle aura encore un rôle très important à jouer. Il ne faut juste pas qu’elle se disperse et perde son temps à dénigrer les autres : ça ne sert à rien. Ils doivent se concentrer sur leur métier, leur vision et ce qu’ils peuvent apporter globalement, collectivement à l’ensemble.
A votre avis, quels vont être les sujets de transformation dans les années à venir, tous secteurs confondus ?
D’un point de vue de pure techno, je pense qu’il y a deux grands sujets de transformation qui vont arriver. Il y a en premier lieu la structuration et l’utilisation de la blockchain – qui va être énorme, à laquelle je crois beaucoup dans son aspect techno. Ce sera générateur d’énormément de nouveaux usages et de nouveaux services. On peut le lier avec l’internet des objets, l’un nourrissant l’autre. Je pense qu’il y a aussi des évolutions technos dans le domaine des télécoms qui vont avoir des conséquences très importantes. Probablement que l’avènement de la 5G, avec tout ce que ça apportera comme nouveaux usages potentiels, va amener de nouveaux modèles économiques qui vont un peu disrupter – je déteste ce mot – le marché. Dans notre métier en particulier, le e-commerce alimentaire, je crois beaucoup à la proximité. Je pense que l’époque du modèle très « amazonien », avec un immense entrepôt centralisé, a vécu, pour ce qui est en tout cas du commerce alimentaire. Je crois pour demain au e-commerce alimentaire de proximité, c’est-à-dire au fait d’avoir des maillons de chaînes logistiques très proches des clients, qui permettent d’avoir un accès très rapide au client. Passer d’un monde très centralisé à un monde très décentralisé.
Avez-vous des modèles d’inspiration, des personnes que vous nous conseilleriez de suivre ?
Pas vraiment. Il y a quelques personnes que j’aime bien, dont je regarde de temps en temps les conférences, comme Simon Sinek, par exemple, qui est amusant et c’est toujours intéressant d’écouter ce qu’il dit : quelques personnes comme ça. J’ai beaucoup regardé les modèles de gouvernance d’entreprise… Ça fait un peu bateau, mais je prends de l’inspiration partout. Il peut s’agir d’une conversation avec mon épouse, un soir, qui va me faire penser à faire les choses différemment, de discuter avec des confrères, avec d’autres chefs d’entreprise dans d’autres secteurs complètement différents, d’assister à des conférences d’experts qui vont m’amener des idées… Je n’ai pas de modèle. Je n’ai pas de statue de Jeff Bezos au-dessus de mon lit, devant laquelle je fais une prière tous les soirs, en espérant qu’il m’envoie ses grâces et ses bonnes idées. C’est multiple et varié, j’essaie de rester ouvert. Très honnêtement : on est les spécialistes de l’erreur. On a fait énormément d’erreurs depuis les débuts de Greenweez, et on a progressé exclusivement grâce aux autres : au regard de ceux qui n’étaient pas dans le projet, aux conseils qu’on a pu nous donner, grâce aux conseils de nos clients qui sont nos premiers prescripteurs de conseils et de transformation… Si j’avais voulu faire une réponse maligne et intelligente, peut-être d’ailleurs que j’aurais dû répondre : les clients. On est extrêmement à l’écoute des clients et ce sont souvent eux qui nous ont fait comprendre ce qu’il fallait faire, comment on devait le faire, ou comment on devait s’améliorer. Par exemple, au début, on ne vendait pas d’alimentaire sur Greenweez. Ce sont nos clients qui nous ont dit de vendre de l’alimentaire, et c’est là que ça a commencé à marcher.
Avez-vous un petit mot à partager avec les participants avant de tous les rencontrer en février prochain ?
Plusieurs ! Même s’il faut rester concis. Pour ceux qui ne connaissent pas : vous allez arriver dans un endroit qui fait partie des plus beaux endroits dans le monde. Soyez contents de venir, ce n’est pas désagréable. J’ai hâte, j’ai vu le programme, il y aura plein d’intervenants passionnants, j’aurai plein de questions à leur poser. Je me réjouis. En toute transparence, je n’ai encore jamais assisté aux Sommets du Digital, ce sera la première fois. On m’en a beaucoup parlé, quelqu’un de Greenweez y était l’année dernière et a adoré. J’ai hâte de retrouver tout le monde, j’espère qu’on aura l’occasion de beaucoup échanger pendant ces trois jours.
Merci à Florence Coirier Giraudon d’avoir mené cet échange.